Combats de coqs

Introduction générale

« Faire battre… » une passion sociale

Aux Antilles, « faire battre » les coqs est une activité multiséculaire. De la même façon que la canne à sucre a été importée d’Asie, les coqs de combats – les Bankivas – ont entamé un long voyage depuis le nord de l’Inde avant d’être introduits dans les îles des Caraïbes par les colons anglais, espagnols, portugais, hollandais mais aussi français. Dans ces îles que vont se disputer ces puissances coloniales pendant plusieurs siècles, les esclaves apprendront de leurs maîtres à élever et prodiguer des soins aux oiseaux combattants. La passion et les gestes se transmettront ensuite de génération en génération…

Pendant la saison qui court de février à fin juillet, chaque semaine des dizaines de propriétaires de coqs sillonnent le département pour présenter leurs animaux à la pesée des « séances » organisées dans les différentes communes de l’île. L’intensité des combats n’a rien à envier à l’étendue des liens qui unissent les individus entre eux et ceux qui unissent les coqueleurs à leurs oiseaux.

Alors qu’en Métropole la pratique reflue dans les villes et les villages depuis le XIXe siècle, les combats de coqs relèvent aux Antilles d’une tradition bien vivante, la loi de 1964 reconnaissant l’exception culturelle régionale et permettant à la pratique de survivre car relevant d’une « tradition locale ininterrompue ». Ces pratiques qui sont parvenues à se maintenir pendant plusieurs siècles ne relèvent pas seulement du folklore et encore moins du caractère figé d’un segment de la société antillaise, elles témoignent intimement des transformations structurelles qui touchent depuis un demi-siècle les départements français d’outre-mer.

Ce projet propose de dévoiler et d’éclairer sous la forme d’un récit socio-photographique les relations parfois méconnues au sein de la communauté mais aussi la passion des hommes pour ce jeu. Il est le fruit des regards croisés d’un photographe et d’un sociologue qui, pendant deux ans, ont observé les séances dans différentes arènes (« pitts ») de Martinique et se sont mêlés aux propriétaires, soigneurs qui ont acceptés de se livrer aux questionnements du chercheur et aux objectifs du photographe. Les matériaux présentés ici ont été recueillis in situ sur les gradins du pitt, au cœur de l’arène, dans les loges, les bars et le secret des « écuries ».

Par-delà le spectacle sanglant de deux animaux qui se battent mus par un instinct irrépressible, c’est une fraction de l’identité créole qui se vit, se transmet et se ravive dans les relations sociales et la répétition des gestes. Faire battre les coqs, c’est participer de ce mouvement plus général qui fait battre le cœur des Antilles en lui conférant ce rythme si spécifique.

Saint-Pierre, le 28 septembre 2017.

Michel Tondellier, sociologue
Maître de conférences à l’Université des Antilles

Méthodologie

Les travaux relevant de la « visual ethnography » étaient à l’heure du début de ce projet encore peu développés en France, ils sont actuellement en plein essort. J’avais déjà utilisé la photo sur un terrain en milieu professionnel avec des résultats assez intéressants. Sur le terrain du combat de coqs aux Antilles, l’idée de combiner l’image, description et analyse s’est imposée très rapidement. Le pitt est un espace saturé de sens dont la description paraît inépuisable. En ce sens, on comprend mieux le choix du combat de coqs opéré par C. Geertz pour exemplifier sa « thick description »1.

L’idée de collaborer avec un photographe professionnel dont j’admire les travaux et qui est par ailleurs un ami proche a été très stimulante. En effet, les objectifs de Jean-Michel André permettaient de croiser les perspectives sur l’activité mais aussi d’y porter un regard renouvelé puisque le travail intensif de Jean-Michel a débuté plus tard que le mien. Nouvel angle, autre expérience du pitt, l’apparition du photographe dans mon champ d’investigation m’invitait à ré-envisager certaines de mes approches du milieu.

Alors que je pointais du doigt quelque chose qui échappait à son regard et lui décrivais des pratiques dont les images me seraient utiles, en retour Jean-Michel attirait mon attention sur des gestes qui m’avaient échappé. En juillet 2012, après deux saisons d’observations, alors même que la fréquentation des pitts me donne l’impression de ne plus m’apporter d’informations nouvelles, Jean-Michel remarque qu’un coq a été armé par deux poseurs d’éperons différents. Cette pratique m’avait toujours échappée, je l’ai vue réalisée plusieurs fois depuis. Sans l’acuité du regard de Jean-Michel, je suis persuadé que je n’aurais jamais rien su de ce « double éperonnage » et encore moins de sa signification.

C’est le photographe qui a été le premier destinataire de mes observations, des questionnements à l’origine de mes hypothèses de travail. Pendant deux ans, pas une rencontre entre nous qui n’évoque « nos oiseaux ». La force des images rapportées du pitt a suscité une émotion sans cesse renouvelée : premiers clichés à l’écran, première sélection, premiers tirages, etc.

Le projet de recueillir une collection de photographies accompagnée d’un texte mi-descriptif mi-analytique a rapidement fait sens. Si dans le pitt chacun de nous avait son appareil photographique, nous en faisions des usages si différenciés que le partage des tâches entre le photographe et le sociologue s’est fait avec beaucoup de fluidité. Alors que mon propre usage de la photographie devait surtout à seconder la mémorisation de mon travail d’observation et de recueil de données, celui de Jean-Michel avait une autre finalité ; chaque photographie devant synthétiser une fraction du récit de façon esthétique.

Enfin, les images de Jean-Michel André ont « libéré » mon écriture. Quand fin juillet 2012, Jean-Michel m’a fait une copie de sa première sélection de photographies, ordonnées par thèmes, il m’a donné la trame de ce que je voulais présenter. En réduisant son corpus de 6000 à quelques centaines de photographies, le photographe venait en aide au sociologue qui se débattait dans 200 pages de notes, ses dizaines de films et quelques 3000 photos personnelles. De cet échange est né ce récit photographique d’une pratique traditionnelle à la fois typiquement antillaise et universelle.

1. Geertz, Clifford C. (1977). The Interpretation of Cultures. New York: Basic Books ; 480 p.

Références

Les combats de coqs

Affergan, F. (1986). Zooanthropologie du combat de coqs à la Martinique. Cahiers internationaux de sociologie, vol. 80, pp. 109-26.

Cegarra, M. (1988). Les coqs combattants. Terrain, vol. n°10, pp. 51-62.

Danaë, O. (1989). Combats de coqs. Histoire et actualité de l'oiseau guerrier. Paris, L'Harmattan; 254 p. «ACCT».

Dundes, A., Dir. (1994). The Cockfight. A Casebook. Madison, University of Wisconsin Press; 290 p.

Geertz, C. (1980). Jeu d'enfer. Notes sur le combat de coqs balinais Le Débat, vol. 7, pp. 86-146.

Guggenheim, S. (1994). Cock or Bull: Cockfighting, Social Structure, and Political Commentary in the Philippines. Dundes, A., Dir., The Cockfight. A Casebook. Madison, University of Wisconsin Press; pp. 133-73.

Kimberly Cook, H. B. (1994). Cockfighting on the Venezuelan Island of Margarita: A Ritualized Form of Male Aggression. Dundes, A., Dir., The Cockfight. A Casebook. Madison, University of Wisconsin Press; pp. 232-40.

Marvin, G. (1984). The Cockfight in Andalusia, Spain: Images of the Truly Male. Anthropological Quarterly, vol. 57, n°2, 04/01, pp. 60-70.

Prindgen, T. (2011 [1938]). Courage. The Story of Modern Cockfighting. LaVergne, TN, Home Farme Book; 264 p.

Séraline, Y. M. (1978). Les Pitts et combats de coqs aux Antilles. Désormeaux.

Photographe: