Cham – la mémoire vivante

« Lorsqu’elle est vraiment vivante, la mémoire ne contemple pas l’histoire mais elle incite à la faire. Davantage que dans les musées, or la malheureuse s’ennuie, la mémoire est dans l’air que nous respirons. Et dans l’air, elle nous respire. » 
Eduardo Galeano

Depuis maintenant près de sept ans, le photographe Nicola Lo Calzo documente les multiples descendances et les manifestations diverses des mémoires de l’esclavage colonial, des résistances à celui-ci, de ses abolitions. Il documente ces mémoires parce qu’elles font œuvre de vie, parce qu’elles irriguent notre présent de savoirs et d’une connaissance de l’autre qui nous est essentielle. Il a fait sienne l’affirmation d’Edouard Glissant selon laquelle « L’oubli offense, et la mémoire, quand elle est partagée, abolit cette offense. Chacun de nous a besoin de la mémoire de l’autre, parce qu’il n’y va pas d’une vertu de compassion ni de charité, mais d’une lucidité nouvelle dans un processus de la Relation. Et si nous voulons partager la beauté du monde, si nous voulons être solidaires de ses souffrances, nous devons apprendre à nous souvenir ensemble. ».

La quête de Nicola Lo Calzo l’a amené des rivages de l’Afrique de l’Ouest (Tchamba), aux périphéries de Port au Prince (Ayiti), en passant par les Mornes de la Guadeloupe (Mas), les quartiers oubliés de la Nouvelle Orléans (Casta), les faubourgs populaires de Santiago de Cuba (Regla), ou les rives du fleuve Maroni (Obia). Ces passages dans tous ces lieux sont autant de moments décisifs dans la démarche du photographe. Il s’agit pour lui de restituer la vivacité et la beauté des modes d’être au monde de communautés qui résistent à l’amnésie en se souvenant des résistances à cette entreprise criminelle d’une ampleur inédite dans l’histoire des humanités qu’a été l’esclavage colonial. Le photographe dévoile l’importance des patrimoines vivants que constituent chacune des pratiques et savoirs de communautés issues de cette histoire. Ces patrimoines prolongent une histoire qui a été trop souvent ignoré. Ces patrimoines transcendent les frontières politiques du présent et nous rappellent que la liberté se loge dans les interstices, les lieux inattendus, les différences, et qu’il y va du salut de l’humanité de savoir célébrer ses différences comme des lueurs qui éclairent notre présent et notre avenir au-delà des désastres qui se travestissent trop souvent sous les traits d'une "modernité" souhaitable. Il y a dans chacune des photographies qui constituent la présente exposition un hommage, une révérence à la beauté du monde quand celle-ci se souvient d'elle-même. Cette beauté du monde est tout autant dans la manière de se tenir debout face aux crimes que dans la manière d’habiter le monde dans tout l’éclat de sa différence.

 

Christopher Yggdre

Septembre 2017

Photographe: